PUBLIE DANS L'YONNE REPUBLICAINE
Une plage de sable blanc frange le Nord de l’île Crocodile. Celle qui baigne très loin d’ici entre l’Atlantique et la Caraïbe. Moutonnantes, les vagues se brisent dans une mousse blanchâtre. Derrière elles, des zones verdâtres en dégradés de bleus et turquoises. Et du plus loin où se porte le regard, la ligne bleu foncé délimitant l’horizon. Au-dessus, le couvercle céleste recouvre des hôtels de luxe ressemblant à une prison dorée à ciel ouvert.
Comme dans un piège refermé malgré moi, je vais demeurer dans cet enclos où tout autochtone est interdit de circuler. Interdits de séjour là où se prélassent sans compter les parvenus des pays civilisés. « Conserver ce territoire, la partie du gâteau, pour les étrangers venus se délester du contenu de leurs portefeuilles et de leurs menus biens de consommation. Faire ce sacrifice d’abandonner à d’autres ce cadre paradisiaque, et ne se satisfaire que des miettes, mais jamais de la plage !
Toujours se sacrifier ! Depuis plus de 50 ans et pendant encore combien de générations ? Pour le bien du pays ! Pour le bien de la population ! Leur bien-être vaut il moins que celui de ces voyageurs prêts à raconter dès leur retour que c’est La Destination a retenir : langoustes, soleil, rhum, cigares à gogo ?
Et pour y faire quoi ? Buller, griller sous le fidèle soleil de Satan à s’en faire gratiner la cervelle. Absorber en formule « all inclusiv » des cocktails à s’en faire éclater la panse, du « ron » (rhum) et des en-cas du jour et de la nuit, comme s’ils avaient besoin de faire une cure d’engraissement. Vivre dans un monde artificiel, méconnaître le son de la voix d’un enfant quémandant quelque nourriture, un savon, un stylo, ignorer l’existence de cette femme ou de cette mère de famille nombreuse pour qui quelques vêtements d’enfants offerts sont une manne comme un don tombé du ciel ! Ignorez tout cela chers touristes. Oui, chers ! Car vous valez bien plus que votre pesant de pesos, convertibles bien sûr, vos euros ou même vos dollars qui n’ont plus droit de citer.
Vous êtes piégés, loin de vos bonnes intentions de générosité. Piégés par l’infidèle qui, sous couvert de partager les richesses à son peuple, depuis 50 ans lui demande de se serrer la ceinture... jusqu’à s’en étrangler !
Peuple docile, gardant espoir, médusé par les promesses d’un seul. Très peu osent imaginer une issue à cet enfermement. Au risque de se faire castrer leur façon de penser, ils restent muets. Pour certains la fusion est intense au cœur de leurs neurones. La pensée unique. Unité derrière un seul. Les slogans sur tout le territoire martèlent, le long des routes, des chemins, des villages, que seule la pensée du chef est celle de la vérité, du droit, de la justice, de la raison, etc.
Un seul peuple derrière un seul et unique idéal possible. Quel est cet idéal ? Après quinze jours passés à sillonner le pays des bords de mer aux terres élevées, des forêts luxuriantes aux anciennes villes coloniales, des territoires indiens d’où même les âmes semblent avoir été massacrées, je n’ai toujours pas compris.
« Vous n’avez donc pas compris ce que je dis ? s’insurge la dame chargée de nous guider et de nous faire découvrir son pays.
« Eh non ! »
Je sais à quel point les cerveaux sont bouclés, tenaillés, embrigadés. Pourtant je ne peux le comprendre. La libre pensée, si elle existe, doit être refoulée. Elle est tabou, bien plus que le sexe, l’alcool et faire la nouba.
Permettre certaines libertés individuelles pour mieux réfréner par ailleurs. Une main ferme dans une armure cadenassée.
Oh ! Peuple fidèle, victime et complice de ta propre misère, ne te demandes tu pas pourquoi l’information est verrouillée ? Pas de journaux, ou un unique quotidien signé du chef, la voix de son Maître. On ne te donne que des news enjolivées, cubanisées, biffées, censurées. Sais-tu qu’au-delà des océans qui t’isolent, des contrées existent où chaque individu peut penser différemment de son voisin, peut parler, lire, écrire, s’exprimer sans tabou et sans crainte ? Tu pourrais t’y déplacer aussi, voyager, communiquer, échanger, te baigner sur n’importe quelle plage au sable doré sans avoir à te cacher. N’aimerais-tu pas toi aussi vadrouiller les pieds dans l’eau au bord de l’océan sur cette plage ratissée, nettoyée, veloutée réservée aux grands seigneurs blancs ? Et déguster la langouste que tu as pêchée ? Accueillir chez toi l’étranger de passage, sans devoir rendre compte de ta vie privée ?
Pourtant ton sourire dans la rue masque bien ce que tu n’oses même plus espérer. Peut-être tes escoliers oseront bousculer ces murailles qui t’obligent au silence. Peut-être un jour... En attendant, contente toi de ton soleil moite souvent trop lourd à supporter, de la beauté de tes paysages, du regard et des euros des estrangers.
Je ne reviendrai pas dans ton pays, moi femme libre et soucieuse du bien-être de chaque être sur terre, je m’y sens mal à l’aise. Ou alors peut-être un jour, lorsque je pourrai échanger, converser, avec des habitants sur qui ne pèsera plus la surveillance policière et les menaces de répressions.
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